Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. Fin d'aout 1805. J'ai vu beaucoup de montagnes en Europe et en Amerique, et il m'a toujours paru que dans les descriptions de ces grands monuments de la nature on allait au dela de la verite. Ma derniere experience a cet egard ne m'a point fait changer de sentiment. J'ai visite la vallee de Chamouny, devenue celebre par les travaux de M. de Saussure ; mais je ne sais si le poete y trouverait le speciosa deserti comme le mineralogiste. Quoi qu'il en soit, j'exposerai avec simplicite les reflexions que j'ai faites dans mon voyage. Mon opinion, d'ailleurs, a trop peu d'autorite pour qu'elle puisse choquer personne. Sorti de Geneve par un temps assez nebuleux, j'arrivai a Servoz au moment ou le ciel commencait a s'eclaircir. La crete du Mont-Blanc ne se decouvre pas de cet endroit, mais on a une vue distincte de sa croupe neigee, appelee le Dome. On franchit ensuite le passage des Montees, et l'on entre dans la vallee de Chamouny. On passe au-dessous du glacier des Bossons ; ses pyramides se montrent a travers les branches des sapins et des melezes, M. Bourrit a compare ce glacier, pour sa blancheur et la coupe allongee de ses cristaux, a une flotte a la voile ; j'ajouterais, au milieu d'un golfe borde de vertes forets. Je m'arretai au village de Chamouny, et le lendemain je me rendis au Montanvert. J'y montai par le plus beau jour de l'annee. Parvenu a son sommet, qui n'est qu'une croupe du Mont-Blanc, je decouvris ce qu'on nomme tres improprement la Mer de Glace. Qu'on se represente une vallee dont le fond est entierement couvert par un fleuve. Les montagnes qui forment cette vallee laissent pendre au-dessus de ce fleuve une masse de rochers, les aiguilles du Dru, du Bochard, des Charmoz. Dans l'enfoncement, la vallee et le fleuve se divisent en deux branches, dont l'une va aboutir a une haute montagne, le Col du Geant, et l'autre aux rochers des Jorasses. Au bout oppose de cette vallee se trouve une pente qui regarde la vallee de Chamouny. Cette pente, presque verticale, est occupee par la portion de la Mer de Glace qu'on appelle le Glacier des Bois. Supposez donc un rude hiver survenu ; le fleuve qui remplit la vallee, ses inflexions et ses pentes, a ete glace jusqu'au fond de son lit ; les sommets des monts voisins se sont charges de neige partout ou les plans du granit ont ete assez horizontaux pour retenir les eaux congelees : voila la Mer de Glace et son site. Ce n'est point, comme on le voit, une mer ; c'est un fleuve ; c'est, si l'on veut, le Rhin glace ; la Mer de Glace sera son cours, et le Glacier des Bois sa chute a Laufen. Lorsqu'on est sur la Mer de Glace, la surface, qui vous en paraissait unie du haut du Montanvert, offre une multitude de pointes et d'anfractuosites. Ces pointes imitent les formes et les dechirures de la haute enceinte de rocs qui surplombent de toutes parts : c'est comme le relief en marbre blanc des montagnes environnantes. Parlons maintenant des montagnes en general.
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