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Benoît Coquard est sociologue, son terrain d'analyse est constitué des campagnes en déclin, en particulier les cantons ruraux de la région Grand Est, dont il est lui-même originaire.
Dans ce livre qui poursuit les travaux de sa thèse de doctorat, il nous propose de plonger dans le quotidien de jeunes vingtenaires et trentenaires vivant dans ces campagnes en déclin. C'est un travail au long cours de sociologue, voire d'ethnographe.
Le titre du livre montre, en creux, l'opposition entre ceux qui restent vivre et travailler dans ces cantons ruraux et ceux qui partent, pour étudier puis travailler, vers la grande ville la plus proche ou plus loin encore. L'auteur fait partie de cette seconde catégorie, tout comme moi, c'est ce qui m'a attiré vers ce livre.
L'auteur montre parfaitement l'articulation entre le déclin économique de ces campagnes et la sociabilité qui s'y exprime autour de “clans”, de “bandes de potes” au sens desquelles la solidarité est forte mais s'arrête aux frontières du clan. La concurrence pour les rares emplois stables alimente non pas un repli sur soi, souvent décrit à tort dans les médias, mais un repli sur un clan solidaire en son sein mais en rivalité avec le reste du village, du canton, et du monde. La réputation est également une “monnaie” essentielle dans ce cadre social, puisqu'elle permet d'accéder à des emplois où la recommandation (ou le piston) est indispensable.
Politiquement, ce mode de vie et de pensée se traduit par une forte abstention ou par un vote qui tend très fortement à droite et à l'extrême-droite. L'enquête de Benoît Coquart s'est déroulée pendant de longues années et s'est achevée au moment où le mouvement des Gilets Jaunes commençait à éclore. Il a pu en observer les prémisses mais surtout en comprendre les ressorts dans ce cadre social d'habitude très rétif aux grands mouvements collectifs.
J'ai beaucoup aimé ce livre qui m'a plongé dans un milieu que je connais très mal ou que je ne connais plus vraiment. Je fais partie de ceux qui sont partis, je ne le regrette pas, mais après cette lecture je comprendrai sans doute mieux ceux qui sont restés.
Faisant partie de "ceux qui partent" je me suis toujours demandé ce qui faisait rester dans ces villages que j'ai fuis, les raisons pour lesquelles beaucoup des gens de mon enfance n'ont pas bougé de l'espace géographique et restent encore en bande.
Cet essai, même s'il traite de la campagne française en déclin, peut s'appliquer en dehors des frontières françaises.
Sans jugement, l'auteur explicite les comportements adoptés, les bandes de potes, les renvois d'ascenseur, les contradictions entre situation et votes FN, entre "entre-soi" vital mais aussi source de jugement constant, ...
Un livre très intéressant qui m'a permis de mieux comprendre certaines anciennes connaissances et comportements.
« Ici », on répète à l’inverse que « tout le monde se connaît », même s’il existe chez les jeunes adultes comme un agacement de « tout le temps voir les mêmes têtes » et de se sentir « toujours épié ».