Manuel d'écriture et de survie
Manuel d'écriture et de survie
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Je pense que cela me fait du bien de varier un peu mes lectures après plusieurs semaines où j'ai principalement lu les livres en service de presse. C'était chaque fois des livres que j'avais malgré tout choisis de lire, mais l'engagement pris tacitement auprès de l'éditeur de lire et chroniquer chaque ouvrage sollicité induit une sorte de contrainte qui peut peser. A l'avenir, je serai vigilant à alterner plus régulièrement les lectures totalement choisies et celles sollicitées et reçues en service de presse.
Cette fois, pas de service de presse, il s'agit d'un livre assez court intitulé Manuel d'écriture et de survie par Martin Page, un écrivain français dont je n'avais lu aucun des romans jusque là. Je vous laisse découvrir le résumé avant de vous en dire plus :
Martin Page répond aux lettres d'une jeune écrivaine prénommée Daria. Tout en lui donnant des conseils d'écriture, il esquisse des moyens de se débrouiller avec le monde, avec le milieu littéraire, avec ses propres névroses et fragilités. Au fil de ce dialogue, il brosse aussi une sorte d'autoportrait. Entre dépression et exaltation, il nous parle de l'art sauvage de l'écriture, un art encore jeune, riche de possibilités. Sans escamoter la dureté sociale ni la réalité des coups et des blessures, il défend l'imagination comme forme de résistance et de création intime. La littérature est un sport de combat autant qu'un des grands plaisirs de l'existence.
Un écrivain devrait être fidèle à toutes ses œuvres, car elles sont le reflet de son évolution. Il ne s'agit pas de tout aimer sans nuances, mais de respecter l'être qu'on était et qui a fait de son mieux.
Le livre est un objet magique. Non seulement la littérature est une source de plaisirs et de connaissances, mais elle sauve des vies. Le dire paraît exagéré en ces temps de tiédeur. Je le répète : la littérature sauve des vies. Il y a quelques semaines j'ai reçu la lettre d'une femme qui me racontait qu'à une époque de sa vie les livres lui avaient permis de gagner un combat contre le désespoir, et de renaître. J'ai reçu quantité de lettres semblables. Les livres sont des armes et des outils pour transformer nos vies.
Toute ma jeunesse a été solitaire. Je n'arrivais pas à être avec les autres. C'était comme si j'étais à des milliers de kilomètres. J'ai mis du temps à rencontrer ceux qui seraient mes amis. Quant à ma vie sentimentale, elle a été vide pendant des années. Je connais bien ces jours et ces soirées sans fin où rien ne se passe, ces samedis soir où les bruits des joyeuses soirées alentour blessent le cœur de celui qui est seul chez lui. Peu à peu, j'en ai fait un espace de liberté et de création. Seul, je ne suis jamais seul. C'est parmi les autres que je suis seul. Cette découverte est un soulagement.
Tu me demandes pourquoi j'écris. La vraie question me semble plutôt être : mais pourquoi tout le monde n'écrit pas ? C'est une chose si magique que ne pas le faire est pour moi incompréhensible. Tout le monde devrait écrire. En tout cas, avoir cette possibilité et s'y sentir autorisé.
Mais je ne me défile pas, je vais te répondre. J'écris parce que c'est un plaisir infini, parce que j'aime voir mes idées se transformer en un livre, parce que c'est ainsi que j'affronte la mort, parce que ça me permet des rencontres, parce que c'est une façon de continuer à m'inventer, parce que je peux jeter mes angoisses et mes obsessions sur le papier comme dans une arène, parce qu'ainsi ma conscience et mon inconscient entrent en conversation, parce que c'est une manière de m'en sortir. J'écris pour contre-attaquer et manger ce monde qui essaye de me dévorer. J'écris pour équilibrer le rapport de force avec le réel. J'écris pour avoir une bonne excuse d'être à l'écart et de me soustraire aux jeux sociaux. J'écris parce que l'encre sur le papier m'émeut. J'écris par plaisir, pour en recevoir et pour en donner. J'écris parce que j'aime la fiction et que je crois en son pouvoir. J'écris aussi pour des raisons moins nobles : parce que ça me donne l'occasion de prendre une revanche, et parce que, désespérément, je veux qu'on m'aime. C'est absurde, je le sais. Rien d'extérieur à moi-même ne résoudra mes problèmes narcissiques. Mais c'est ainsi.
Mais que font les plus fragiles ? Ils chutent et s'abîment sans cesse. Ceux qui pensent que nous vivons dans une société juste et démocratique mériteraient qu'on les paye au salaire minimum pour un boulot éreintant et ennuyeux.
Si le mercantilisme est une blessure faite à la littérature, l'entre-soi des plus éduqués l'est tout autant. Je vais souvent dans des écoles pour rencontrer élèves et professeurs, et je suis triste de constater que beaucoup d'adolescents (et d'adultes) ont peur des livres. Comment en est-on arrivé là ? Le livre est devenu l'instrument d'une sanction, c'est un devoir et une punition. Ça devrait être tout le contraire. Ce malaise s'incarne dans une polarisation de plus en plus grande : il y a des livres pour le peuple et d'autres pour les plus éduqués. Comme si chaque groupe social devait avoir sa littérature. (Ce phénomène touche tous les arts.) [...]
La majeure partie de la population ne lit pas, elle est donc privée d'un des grands plaisirs de l'existence. Toutes les barrières qui font des livres un art réservé et effrayant sont à faire tomber. Allons dans les écoles, les prisons, les universités, parlons des livres sur internet. La littérature est pour tout le monde.
La France est un curieux mélange : c'est une société éclairée, riche de talents et de désirs, mais archaïque, sclérosée et violente. Elle est fragilisée par une école faussement républicaine (et réellement créatrice de réseaux et d'endogamie), le respect de l'autorité, et une organisation sociale hiérarchique qui décourage et opprime les personnalités atypiques, compétentes et originales. La créativité et l'enthousiasme y sont mal considérés, la cruauté des petits chefs incapables récompensée. Je me demande où ça va nous mener.
Si on veut défendre le livre, il faut défendre une certain conception de la vie en société. Les lecteurs doivent avoir les moyens d'acheter des livres et avoir du temps à consacrer à la lecture. Je ne vois pas comment on peut déclarer aimer le livre et soutenir une politique qui pousse la plupart des femmes et des hommes à travailler constamment pour s'en sortir. Le livre existe grâce à un environnement. C'est un fait de civilisation.