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L'écrivaine allemande Christa Wolf proposait en 1996 une nouvelle adaptation romanesque du mythe de Médée, qui tranche avec les interprétations précédentes du mythe.
Médée est un personnage célèbre des mythologies grecque et latine. On la connait notamment par les pièces de théâtre du grec Euripide et du romain Sénèque, avant d'être réinterprétée à de nombreuses reprises, notamment par Pierre Corneille au XVIIe siècle ou Jean Anouilh au XXe.
J'ai eu l'occasion d'étudier ce mythe et ses multiples réinterprétations théâtrales, romanesques, musicales ou cinématographiques dans un cours de littérature comparée que j'ai suivi dans le cadre d'un cursus universitaire que j'ai entrepris cette année en tant qu'auditeur libre à distance.
Certaines des oeuvres m'ont beaucoup plu, d'autres un peu moins, mais j'ai toujours trouvé plaisant cet exercice d'adaptation et d'interprétation d'un mythe commun, avec les préoccupations d'un auteur dans son époque.
En l'occurence, nous avons ici affaire à un roman signé par l'allemande Christa Wolf, l'une des autrices les plus connues et reconnues de l'ancienne RDA. Ce contexte historique, celui d'une vie adulte passée sous le régime communiste autoritaire de l'Allemagne de l'Est, est essentiel pour comprendre cette interprétation du mythe de Médée.
Le roman raconte les derniers jours de Médée à Corinthe, lorsqu'elle devient la proie du roi Créon et de la foule corinthienne qui l'accuse d'être responsable de tous ses maux : peste, famine, etc. Le récit est porté par plusieurs personnages qui prennent la parole dans des chapitres d'une vingtaine de pages.
L'autrice laisse ainsi s'exprimer à tour de rôle Médée bien sûr ; Jason, son mari qui l'abandonne à son malheur ; Agaméda, son ancienne élève qui la jalouse ; Akamas, un astronome et proche conseiller du roi Créon ; Glaucé, la fille du roi, promise à Jason ; Leukos, un astronome ami de Médée et qui a perdu la faveur du roi.
Chacune de ces voix porte un regard différent sur Médée, et raconte finalement l'histoire à sa façon, ou feint de révéler une vérité qui n'en est pas une. Car le roman nous parle surtout de la vérité et de la façon dont l'histoire est écrite par les dominants, par les gouvernants.
Médée apparait ainsi comme une femme victime des hommes et des autorités, jalousée par ses ennemis et ennemies, délaissée par son mari et abandonnée par la lâchée de celui-ci, accusée à tort de crimes qu'elles n'a pas commis pour ne pas entacher la réputation de puissants qui doivent apparaître comme irréprochables. Médée victime devient ainsi Médée magicienne, sorcière, criminelle, régicide, infanticide, c'est en tout cas ainsi qu'elle apparaitra ensuite dans les livres d'histoire, écrits par les vainqueurs, ou en tout cas par ceux qui nous gouvernent.
Je dois avouer avoir eu un peu de mal au tout début du roman, quand j'en lisais le tout premier chapitre, mais j'ai ensuite été totalement emporté par le propos des personnages et de l'autrice. C'est un livre profond, qui porte un sens puissant et propose une interprétation intelligente d'un mythe antique, parfaitement ancrée dans son contexte historique.