Une vie en l'air
Une vie en l'air
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Une vie en l'air est un drôle de livre, mais ce fut donc un plaisir quand l'éditeur a accepté de me fournir un exemplaire numérique en service de presse, car j'avais tout de suite eu envie de le lire lorsque j'avais découvert son résumé sur NetGalley.fr :
C'est une ligne de béton tendue à dix mètres au-dessus de la Beauce, qui barre depuis toujours le paysage de son enfance. Elle devait servir de rampe à un véhicule révolutionnaire, un monorail propulsé à 430 kilomètres à l'heure sur coussins d'air : l'aérotrain, invention futuriste née de l'imagination de l'ingénieur Jean Bertin et conçu pour relier, à très grande vitesse, les centres urbains de la France pompidolienne. Si le projet fou de Bertin a fait long feu, cette ruine du futur, elle, est restée debout, absurde, au milieu des champs.
Enfant, puis adolescent, le narrateur a fait de ce môle abandonné un domaine, passant des heures, des jours entiers à scruter le paysage comme s'il s'agissait d'un diorama, à observer la vie alentour et les allées et venues en contrebas. Jamais il n'est descendu de ce perchoir. Cette existence suspendue s'est poursuivie pendant trente ans, en parallèle à la vie réelle. Le paysage a changé, le rail aérien s'est effondré en plusieurs endroits mais le narrateur a continué d'habiter la jetée, songeant même à l'acquérir, et à en déclarer l'indépendance.
Que faire de la hantise ? Comment vivre habité ? L'écriture peut-elle
ressaisir un lieu, et faire d'une retraite un monument ?
Mon monument était une ruine du futur, le vestige d'un avenir radieux qui n'avait jamais été.
Et pourtant : si, à douze ans, j'avais lu Simon du Fleuve plutôt que Comment ça marche ?, je me serais sans doute forgé une vision assez différente de l'aérotrain : en lieu et place de l'appareil rutilant présenté sur les planches de l'encyclopédie pour enfants, j'aurais découvert un bolide dominant une plaine soufflée par l'explosion du capitalisme, un carrosse sur coussin d'air transportant, dans une Beauce jonchée de silos crevés, les maîtres d'un monde dévasté. Enfermés derrière leurs remparts, « ceux des cités » asservissaient les campagnes où vivait Simon et circulaient, lointains, dans un vacarme aéroglissé. Ce futur-là, m'expliquait Florent, c'était celui qui s'esquissait à Bure, dans le Val de Suse et à Notre-Dame-des-Landes : un « pays utile » que la vitesse ampute de ses rebuts, un territoire quadrillé par des bolides avec, dans les trous du maillage, des zones d'enfouissement de déchets, qu'ils soient industriels ou humains.
Si toutes ces années jetées par-dessus bord doivent servir à quelque chose, c'est à ceci : inscrire l'aérotrain au patrimoine mondial de l'incertitude généralisée, en faire un Monument à la gloire de tous ceux qui préfèrent le tâtonnement à l'installation, tous ceux qui considèrent qu'une place ne se donne pas, mais se prend, tous ceux qui construisent leur lieu et, par touches successives, transforment l'espace autour d'eux, tout ceux qui persévèrent dans le froid et la nuit, tous les furtifs, les discrets et les petits malins, tous ceux qui forent le monde de minuscules galeries et sapent les fondations de ce décor qu'on nous présente comme réel.